Les naufrages des migrants en Manche
Au moins 46 morts depuis le début de l'année, à l'heure où nous écrivons ces lignes, 46 morts, noyés dans les eaux glacées du calcul égoïste. 2024 est l'année la plus meurtrière depuis 2018, date à laquelle les traversées en bateaux de fortune ont commencé à être comptabilisées par la Grande-Bretagne. À la faveur d'une météo favorable et d'une mer calme, ce mois de septembre a connu de très nombreuses tentatives de traversée. En 24 heures entre le 13 et 14 septembre, 18 tentatives ont été suivies et 200 naufragés secourus.
Depuis 2018, 136 000 personnes ont traversé la Manche sur des bateaux de fortune de plus en plus surchargés et 22 000 personnes sont arrivées en Grande-Bretagne cette année.
Pourtant, les moyens ne manquent pas, financés pour beaucoup par la Grande-Bretagne (72,2 millions d'euros) pour tenter de réduire le nombre de ces traversées. Plus de 1 000 policiers et gendarmes, le déploiement de plus en plus important de nouvelles technologies (caméras thermiques, drones, barrages flottants) n'arrivent pas à en diminuer le nombre. En revanche, ces mesures ont un réel impact : elles rendent les départs et les traversées encore plus dangereux car les exilés prennent de plus en plus de risques :
- Les bateaux sont montés à la va-vite, dans la crainte d'une intervention policière (boudins mal gonflés, planchers pas toujours installés)
- Le nombre de passagers par bateau augmente, de 45 à 51 en moyenne entre 2023 et 2024, avec des pics à plus de 80, et pas ou quasi pas de gilets de sauvetage.
- Pour tenter d'éviter la police, les points de départ s'éloignent. Par exemple, en mai 2024, 66 personnes ont été secourues au large de Dieppe, à 134 km du port de Douvres, soit plus du triple de la distance entre Calais et les côtes de l'Angleterre.
Depuis le démantèlement de la jungle de Calais, en 2016, 1 500 à 2 000 personnes vivent dans une dizaine de camps à Calais et aux alentours, dans lesquels la police applique la stratégie dite du « zéro point de fixation » pour empêcher que les exilés ne s'installent durablement. Cela se traduit par des évacuations des campements toutes les 48 heures avec destruction des tentes et confiscation des effets personnels des exilés, sous prétextes sanitaires et d'ordre public, et surtout pour diminuer « l'appel d'air » qui surviendrait si les conditions d'accueil étaient améliorées (théorie réfutée par les chercheurs, l'appel d'air est un mythe). Cette politique de harcèlement est inefficace et délétère, et la Commission Nationale Consultative de Droits de l'Homme (CNCDH) demande depuis 2 ans d'y mettre fin. D'après le journaliste Louis Witter, en 2020, la France a dépensé près de 100 millions d'euros dans la mobilisation de la police, contre 27 millions pour des dispositifs basiques d'accueil comme l'eau, les sanitaires et la distribution alimentaire.
Toutes les associations d'aide aux migrants, (Calais Food Collective, Utopia 56, l’Auberge des Migrants, Solidarités International, Médecins du Monde, Salam, Médecins Sans Frontières, Caritas ou Care4Calais) dénoncent sans relâche les entraves imposées à l'aide humanitaire par la préfecture qui a interdit entre 2020 et 2022 la distribution d'aide alimentaire par les associations non mandatées (une seul association est reconnue et distribue 600 repas par jour). La ville de Calais a créé des aménagements pour empêcher l'accès aux lieux de distribution improvisés. La Communauté urbaine de Dunkerque a détruit la dernière borne incendie à proximité du camp de Loon-Plage, dernier point d’accès à l’eau pour les personnes migrantes (ce point d'eau a été rouvert à la suite d'une grève de la faim de Pierre Lascoux, bénévole de l'association Salam).
Cette dégradation de plus en plus sévère des conditions de vie des exilés contribue a précipiter les départs risqués vers l'Angleterre. Le rapport de Watch The Med Alarm Phone, sorti le 29 janvier, souligne que l’augmentation de la présence policière sur les plages françaises et le doublement des noyades dans la Manche au cours de l’année écoulée sont directement liés.
Face à cette situation alarmante, il y a l’urgence à repenser les stratégies répressives actuelles et à privilégier des solutions humaines et durables. Les millions d'euros dépensés pour « sécuriser » la zone seraient nettement plus utiles et efficaces pour aider les exilés. L’établissement de voies de passage sûres pour les personnes en situation d’exil est indispensable, la répression accrue ne fait qu’augmenter les risques et le nombre de victimes. Il est temps de mettre en œuvre des alternatives respectueuses des droits et de la dignité humaine.
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