


Depuis quelques jours, Zoé se rapproche de la cheminée quand tombe la nuit... Après avoir été accablé de chaleur l’été dernier, il aime désormais se chauffer les moustaches et le bout des oreilles devant le feu, penchant la tête à chaque craquement des branches, écorces et brindilles. Lorsqu’en clignant des yeux il contemplait le foyer, hier soir, il fut dérangé par un petit bruit mat venu de la fenêtre. C’était Melchior le hibou qui lui faisait signe. Zoé s’approcha, et télépathiquement — car les animaux sont pleins de ressources —, ils échangèrent quelques amicales pensées. Melchior était impressionné par l’abondance, cette année, des cèpes dans la forêt sur laquelle il veillait tout au long de toutes les nuits, faisant son devoir de hibou protecteur de la faune et de la flore. Il invita Zoé à le rejoindre, ce que le félin fit aussitôt, passant par la chatière qu'il avait réclamée à Joséphine, la garde forestière qui partage ces temps-ci avec lui son logis.
Le ciel était bien étoilé en cette nuit d’automne, ce qui encouragea les deux compagnons à sautiller de concert sur les sentiers de la forêt, puis à s’en écarter à mesure que celle-ci s’épaississait. Zoé gambadait, prospectait à gauche et à droite, revenait sur ses pas... « Comme il fait bon vivre, enveloppé par la présence rassurante des robustes troncs de chênes dont les ramures commencent à se dégarnir », pensait-il, marchant et bondissant sur le tapis des premières feuilles d’automne tombées à leurs pieds !
Ce faisant, Zoé les déplaçait et Melchior les faisait virevolter de ses battements d’ailes. Les deux compères constatèrent bien vite que l’année était exceptionnelle pour l’abondance des cèpes, et se mirent à farfouiller pour en dénicher des myriades, bien cachés sous les feuilles... Dame Nature avait consciencieusement travaillé ! Ravis de profiter de sa générosité, ils constatèrent que certains champignons vivaient en solitaire, prenant appui sur des racines de chêne, que d’autres s’assemblaient en petit comité de deux ou trois champignons-compagnons, que d’autres enfin s’alignaient en longues files hétéroclites comme des manifs anti-Macron... Les cèpes avaient presque tous les pieds gris (Carlos aurait chanté qu’ils avaient des soucis), et presque tous des chapeaux ronds (comme les Bretons, aurait aussi entonné le susdit), mais les couleurs pastel de ces derniers variaient subtilement du violet au brun, du rouge au blanc... Quant à leurs tailles, elles allaient tout simplement du simple au décuple. Cette étonnante diversité les fit réfléchir ; décidément, la Nature ne manque pas d’imagination pour offrir à tous des émotions visuelles et gustatives, surtout là où les humains ont opportunément choisi de la laisser en liberté !
Ils n’eurent pas tout de suite l’idée de les ramasser... D’abord parce qu’ils avaient négligé de se munir de paniers, et ensuite parce qu’ils se savaient l’un et l’autre carnivores ! Cependant, à la fin de leur promenade, dans une clairière, Zoé proposa à Melchior de l’aider à faire une bonne surprise à Joséphine, qui devait sommeiller dans la maison forestière avant de reprendre aux premiers rayons du soleil sa tâche protectrice. Melchior hulula trois fois, et ses trois enfants vinrent le rejoindre. Ils volèrent de concert jusqu’à la petite cour de la chaumière, et rapportèrent dans la clairière un beau drap blanc qui finissait de sécher sur une corde tendue entre deux hêtres. Zoé les aida à étendre cette large étoffe sur le sol odorant de la forêt, et à y déposer délicatement une quantité raisonnable de champignons tout frais cueillis, que les hiboux allèrent déposer devant la porte du logis. Zoé en noua les quatre coins à l’aide de ses griffes, et rentra par la chatière dans la maison de la gardienne pour y faire de beaux rêves, espérant profiter d’une petite part d’omelette aux cèpes, au parfum subtil, dont sa compagne du moment le ferait profiter lorsque le soleil serait au zénith... Il ne put réprimer un ronronnement satisfait, et ferma doucement les yeux.
À noter : ce témoignage a trouvé toute sa place lors de la 20ème Nuit des Chercheurs qui s'est déroulée au Campus le 26 septembre, à l'occasion de l'atelier " le bivouac et ses chercheur·e·s tout terrain"...
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