
Los Angeles, Mayotte :
les leçons de deux catastrophes climatiques
Les événements météorologiques "exceptionnels" n’ont pas épargné l’Europe ces dernières semaines : la Catalogne a été frappée par de terribles inondations en novembre, l’Irlande par une violente tempête, puis la Bretagne par des pluies intenses fin janvier. Les deux catastrophes que nous abordons aujourd’hui se sont produites, très récemment aussi, dans des territoires plus éloignés, au climat fort différent du nôtre et à l’organisation sociale radicalement distincte l’une de l’autre ; elles nous paraissent emblématiques de la complexité de ce qui fait une catastrophe... où la « nature », évidemment, joue un rôle, mais où les éléments humains, politiques, économiques et sociétaux contribuent considérablement à leur impact.
Le 7 janvier, plusieurs foyers d’incendie éclatent au nord de la gigantesque aire métropolitaine de Los Angeles (13,2 millions d'habitants), et dévastent rapidement les localités de Pacific Palisades, Sunset, Hurst et Eaton. Les populations (souvent très riches) de ces secteurs à flanc de coteaux (distants les uns des autres de plusieurs km) sont évacuées d’urgence.
Les causes immédiates en sont des conditions météorologiques défavorables : le vent chaud et sec de Santa Ana, fréquent dans la région en hiver mais particulièrement puissant cette année, souffle en violentes bourrasques (jusqu’à 160 km/h), transportant des flammèches incandescentes, apportant aux flammes de l’oxygène, et empêchant les interventions des avions et hélicoptères bombardiers d'eau.
Mais c’est surtout le contexte climatique qui explique la propagation de l’incendie : la mégalopole n’a reçu depuis six mois

que 4 mm de précipitations, alors que la moyenne annuelle de 2021-2024 était de 186 mm. Ces pluies des années précédentes avaient d’ailleurs favorisé la pousse de la végétation, particulièrement fournie cet hiver et, une fois desséchée, alimentant les flammes.
La presse s’est faite l’écho du bilan spectaculaire de ces sinistres hors du commun : Ils ont causé 29 morts, brûlé une superficie de plus de 150 kilomètres carrés, détruit 12 000 bâtiments, entraîné l'évacuation de 180 000 personnes, provoqué des dégâts dont le coût est estimé à 265 milliards de dollars... et les chroniques "people" énumèrent les noms des célébrités privées de leurs magnifiques résidences : Paris Hilton, Tom Hanks, Steven Spielberg, Patrick Bruel, Laeticia Hallyday... Mets-m’en 3 colonnes, c’est ça qui intéresse le lecteur, Coco !
Pourtant, il y a là de quoi aborder ce bilan avec un peu plus de rigueur. Dans une étude publiée à l’été 2023 dans la prestigieuse revue Nature, des scientifiques rapportaient que dix des plus grands incendies de forêt connus en Californie s'étaient produits au cours des deux dernières décennies, dont cinq au cours de l’année 2020 seulement, et soulignaient le rôle de l’« anthropologic warming » (réchauffement lié aux facteurs humains) dans ce phénomène. On voit à quel point le désastre de 2025 confirme leur mise en garde ! Pour le climatologue Kevin Trenberth, il est raisonnable de penser que l’allongement de la saison sèche jusqu’au début de cet hiver et la violence des vents en janvier sont liés au dérèglement climatique.
Si les scientifiques s’expriment avec retenue et se gardent de tout discours simpliste (ils parlent d’ "augmentation des risques" plutôt que de causalité directe et immédiate), il n’en est pas de même pour bien des politiciens, en particulier pour le président chouette-battu-puis-hélas-réélu et son entourage, dont le rapport avec la réalité est chancelant, voire pathologique... Donald Trump et Elon Musk n’ont, par exemple, pas manqué d’imputer l’ampleur de ces incendies aux "restrictions d’eau" ordonnées par Gavin Newsom, gouverneur démocrate de Californie, pour sauver une espèce de poisson menacée d’extinction, l’éperlan du delta, alors que cela ne concerne nullement la Californie du Sud, dont les réservoirs d'eau étaient très au-dessus des moyennes historiques !
On a moins répété qu’en décembre 2024, Kristin Crowley, cheffe du service d'incendie de Los Angeles, avait dénoncé une réduction de 17,6 millions de dollars par rapport à son budget de l’année précédente... et que certaines propriétés ont été protégées, tant bien que mal, par des sociétés privées de pompiers (grassement payées par des propriétaires et des compagnies d’assurances) qui n’intervenaient que sur les terres de leurs clients.
Depuis, alors que les incendies se sont poursuivis depuis des semaines, Trump a engagé un bras de fer avec le gouverneur de Californie, conditionnant l'aide fédérale contre les incendies à l'expulsion de sans-papiers !
Pour être efficace face aux menaces climatiques, la solidarité devrait être, partout et toujours, une priorité...
Ces dernières semaines, une région du monde bien différente a été dévastée par une tout autre calamité : Mayotte, dans l’Océan indien, le 14 décembre. Certains ont immédiatement imputé les ravages du cyclone tropical Chido au dérèglement climatique : avec des rafales à plus de 220 km/h, il constitue un événement d’une intensité inédite sur les Comores depuis 91 ans.
On sait que les conditions atmosphériques plus chaudes liées au changement climatique devraient, statistiquement, augmenter l’intensité des "systèmes organisés et rotatifs de nuages et d'orages qui prennent naissance au-dessus des eaux tropicales ou subtropicales et présentent une circulation fermée". Selon le dernier rapport du GIEC, pour 1,5 °C de réchauffement global, la proportion de cyclones tropicaux intenses devrait être de 10 % plus élevée par rapport à aujourd’hui, et, pour 4 °C de réchauffement, de 20 % plus élevée.

De fait, les eaux de surface avoisinaient les 30°C dans cette zone de l'ouest de l'océan Indien, soit près de 1,5 °C de plus que les normales, ce qui a pu fournir de l'énergie à Chido. Cependant, l’équipe de recherche européenne ClimaMeter considère qu‘ "un faible niveau de confiance empêche d’attribuer l’intensité du cyclone Chido au changement climatique provoqué par les humains". En effet, son parcours est tout ce qu’il y a de plus classique, et son ampleur est loin d’être inédite dans la zone intertropicale, où certains cyclones atteignent 300 km/h. L’extrême complexité du système climatique et la variabilité naturelle rendent toujours compliqué de déterminer les causes d’un événement isolé.
Dans ce cas précis, on peut exprimer un certain soulagement par rapport aux déclarations alarmistes du préfet Bieuville, qui craignait au lendemain du cyclone "certainement plusieurs centaines" de morts, "peut-être quelques milliers"... Le bilan est aujourd’hui de 39 morts.
Ce qui explique ces propos du préfet, tout comme les images de dévastation omniprésentes dans les media, c’est la vulnérabilité de la population. Les très fragiles habitations en tôle, soumises à des vents d’intensité extrême dans un relief accidenté, la très faible culture du risque dans l’île, la présence de nombreux immigrants clandestins ne voulant pas se faire connaître (par crainte d’expulsion) et ne parlant pas forcément français, la peur du pillage des maigres ressources des habitants, les odeurs de pourriture (liées heureusement à des réfrigérateurs privés d’électricité), les funérailles rapides coutumières chez les musulmans, les rumeurs... ont fait craindre le pire. Seulement 10.000 habitants des bidonvilles (sur 100.000 estimés) se sont mis à l'abri dans les 120 centres de secours officiels, suggérant un bilan dramatique. Mais au fur et à mesure des investigations, les autorités ont compris que beaucoup de clandestins se sont réfugiés dans des bâtiments en dur, mosquées, parkings, ou chez d'autres habitants.
La faune et la flore ont été gravement affectées (exode des lémuriens, coraux dévastés...). Dans ce territoire où 77 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, une grande partie de l’activité économique (agriculture, transports, tourisme) est menacée, la rentrée scolaire a dû être reportée, de graves problèmes de santé mentale se posent. Les autorités françaises, après avoir déclaré l’ "état de calamité exceptionnelle" et décrété un deuil national, ont bloqué les prix des denrées essentielles, fourni des tentes, obtenu de l’U.E. des hébergements d’urgence, mais aussi limité la vente de tôles, empêchant les sans-papiers de réparer leur logement. Président, premier ministre, ministres, se sont rendus sur place, non sans quelques "couacs" (dont le célèbre « si c'était pas la France, vous seriez 10 000 fois plus dans la merde ! » de Macron, et sans convaincre de leur efficacité...
Ainsi, ces deux phénomènes atmosphériques récents nous invitent à nous montrer très vigilants face à l’évolution du climat, et à militer pour une meilleure prise en compte scientifique des catastrophes, sans négliger le fait que la situation économique et sociale des populations joue un rôle décisif dans la gravité de désastres qui ont toutes chances de se multiplier dans les années à venir.
Le climato-scepticisme peut être criminel ; les autorités privilégient trop souvent l’inaction climatique au quotidien, et la mauvaise foi ou l’affichage quand arrivent les catastrophes. La rigueur dans l’analyse des conditions météorologiques, dans les choix d’urbanisme et dans les politiques publiques est indispensable pour préserver les conditions de vie sur toute la planète...
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