
Interview :
Saber Ben Achour
Ancien animateur à la ville de Quetigny, tu restes en contact avec nombre de jeunes et tu restes soucieux de t’informer et d’agir à ton échelle pour les habitants de notre ville. Peux-tu te présenter en quelques mots ?
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Je suis Saber Benachour, père de famille, habitant de Quetigny depuis 29 ans. J’ai eu la chance de m'impliquer dans le monde associatif. J’ai pu également exercer au sein de la Ville de Quetigny en tant que travailleur social . En disant que je suis soucieux de la jeunesse, on pourrait croire que ce sont des qualités et ma psychologie personnelle. En fait, l’environnement influe sur les individus. Et comme Quetigny est une ville-village où il y a encore une société d’inter-échanges, une société de culture et de réputation. Il y a une communauté à Quetigny. Les habitant·e·s qui, pour diverses raisons, sont parti·e·s ailleurs restent attaché·e·s à Quetigny, qui reste encore sur ce modèle où la population reste attachée à l’endroit où elle a vécu.
Quand on habite Quetigny, on est dans plein de réseaux sociaux, avec des échanges permanents. Ce n’est pas moi seul qui suis soucieux des gens, ce sont aussi les gens qui sont soucieux de ma personne et de ma manière de penser. Et c’est un échange permanent et informel. Ce qui me permet de faire de la politique non conventionnelle, qui passe en fait sous les radars de la politique politicienne et structurante. Ça reste des échanges de la vie de tous les jours, avec des gens de différents âges.
Les jeunes, ça n’existe pas. Parmi eux il y en a qui sont performants, avec un beau capital social, politique et culturel, d’autres qui en ont moins, d’autres encore qui sont plutôt libéraux, d’autres encore qui sont dans le partage et d’autres extrêmement cultivés. Chaque génération apporte quelque chose à l’autre. Cette nouvelle jeunesse est extrêmement cultivée, le plus souvent dans des domaines particuliers. C’est une jeunesse de spécialistes mais qui ne lui permet pas d’avoir une vision globale. Elle m’apporte beaucoup dans sa vision de spécialiste. Je peux échanger avec elle parce que je suis né en 1984, une des premières générations qui a grandi sur Internet. J’ai encore cette notion : quand je m’ennuie: je vais dehors. Quand je veux échanger avec quelqu’un·e, j’échange avec mes voisins et les réseaux sociométriques de proximité ; et eux m’apportent aussi, avec une vision globale d’entrepreneurs, de gens qui vont de l’avant. C’est peut-être là, au niveau sociologique à Quetigny, qu’il y a un réel potentiel de travail qui n’est pas en capacité de conserver ses forces vives.
Les jeunes ne se sentent pas très attirés par la vie politique ou associative locale. Pourquoi, à ton avis ?
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Ils sont attirés, mais ça dépend à quel moment on estime qu’ils sont attirés ou pas ; si on est dans le cadre associatif ou politique formel. Einstein a dit une bonne phrase : « Si vous jugez un poisson à sa capacité à grimper à un arbre, il passera sa vie à croire qu'il est stupide ». Ils sont intéressés, ils ont des points de vue politique, sociologique, économique, mais ils ne sont pas perçus dans le spectre de la politique politicienne formelle. Ils ont leur point de vue sur la société, la manière dont elle devrait fonctionner, ce qu’elle devrait leur apporter, comment ils voient l’avenir. Mais il n’y a pas de catalyseur pour amener ces visions-là. Normalement, le catalyseur, c’est l’élu politique, mais force est de remarquer qu’en termes de pyramide des âges de la vie politique actuelle, il n’y a pas de lien générationnel entre le personnel politique actuel de la ville et les jeunes de 20 ans. Il y a un trou générationnel.
Ce n’est pas tellement une question d’âge, c’est aussi une question de communication. Il y a une belle phrase de l'institut Palo Alto : « La pire chose avec la communication, c’est de croire qu’elle a eu lieu ». En fait, des fois, on parle avec quelqu’un, mais on ne communique pas. Communiquer avec quelqu’un, c’est créer un lien entre les deux, s’ouvrir à l’autre, accepter d’être remis en cause dans ce qu’on pense être déterminant. Si on voit le jeune comme une catégorie sociale ou sociologique, on a perdu la mise. Il faut voir le jeune comme un individu. Au grand siècle français, le 17ème siècle, on a mis en avant l’individu, c’est-à-dire ce qui est indivisible. Aujourd’hui, on est dans une politique d’identité, on essentialise le jeune, le musulman, la femme. Mais il faut parler aux individus, aux gens tels qu’ils sont, surtout dans une ville de 10 000 habitants.
Pourtant, alors qu’il existe un certain nombre de dispositifs, de syndicats, d'associations, on constate une moindre participation des jeunes à la vie politique et associative locale.
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C’est la perte de sens... mais également une vision. Quand on dit « les jeunes », de quoi parle-t-on ? On parle d’âge ? Par exemple, le jeune qui a des difficultés sociales, familiales et autres, qui s’empilent, n’a qu’une parcelle, un quantum d’espoir infime. Il ne peut pas utiliser son énergie d’espoir dans des luttes contre des moulins à vent. Il a besoin d’avoir quelque chose de concret, quelque chose où il va se voir réussir. Comment puis-je agir dans la cité si je perçois cette cité comme une menace ou une perte de temps ?
Il y a aussi le jeune performant, petite classe moyenne, études universitaires sans problème. Depuis quelques années, sa situation se dégrade. C’est le paradoxe d’Anderson : les enfants à diplôme supérieur à celui de leurs parents sont dans une classe sociale inférieure. Ces jeunes en train de réussir vont percevoir le syndicat, le parti politique comme une perte de temps dans leur élévation socioculturelle. Et la question primordiale est : qu’est-ce qui fait qu’on est encore une communauté de personnes, qu’on ne constitue pas des individus éparpillés mais qu’on constitue un commun ? Pourquoi ça ne fonctionne pas ? Parce que la culture de la famille, de la solidarité, ne s’impose pas, elle se construit.
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Parmi les jeunes que tu rencontres, y en-a-t-il qui pourraient s’intéresser à la vie politique, des personnes à qui on pourrait dire « toi, tu peux », mais qui renoncent ? Si oui, pourquoi ? Qu’est-ce qui les bloque ?
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La question, en fait, est : comment créer des leaders d’opinion qui existent déjà ? Les paroles s’envolent, les actes, les écrits restent. Ca veut dire qu’il faut franchir le cap, mettre en avant l’adhésion à un projet commun. Ce projet commun, tout le monde aimerait plus ou moins le mettre en place, mais quand on se confronte à la politique locale, on a affaire à un bloc monolithique qui va venir doucher les ambitions. Il y a aussi une notion très claire : la politique, c’est un petit nombre de personnes qui veulent pousser un grand nombre d’autres à adhérer à leur vision du monde. Quelle est la vision du monde de ce qu’on peut appeler la jeunesse plurielle ? Ca nécessite au préalable de faire une ABS (analyse des besoins sociaux), voire même de mettre en place des sessions de formation. De nos jours, qui s’intéresse ,à un grand penseur local franc-comtois, Proudhon ? Ça nécessite aussi d’organiser. Tout le monde a des idées politiques et, bien souvent, on ne sait pas qu’on les a.
Revenons sur notre commune. Concrètement, quels moyens vois-tu d’amener les jeunes, et d’autres, vers les moyens qui existent ?
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Repérer les leaders d’opinions, échanger avec eux, créer des groupes d’échange sur les réseaux sociaux dans lesquels on laisse une communauté se créer. Leur permettre de s’exposer, d’échanger... et ensuite la magie, la sociabilité, l’envie d’aller vers les autres se fait toute seule.
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Tu crois qu’on peut prédéterminer qui est leader d’opinion ?
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Les gens sont déjà là, il suffit de proposer.
Tu utilises souvent ce terme de « leader d’opinion ». Peux-tu le préciser, notamment dans le cas de Quetigny ?
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C’est quelqu’un qui a une vision d’ensemble, assez complexe à trouver car on est dans un monde de spécialistes. Il a conscience que, dans la ville où il vit, il peut amener à des choses positives. Il a un début d’éducation politique. La politique, c’est un sport de combat : on prend des coups, et il faut accepter de les prendre, être assez retors, avoir le verbe. Avoir un ou deux leaders d’opinion, ça va créer des figures d’autorité, d’imitation ou même des gens avec qui on va avoir un lien. Ces leaders ont aussi une base sociale, ils sont reconnus, appréciés. Dans la ville de Quetigny, il y a une distance entre le citoyen lambda et la politique. Il faut demander à 10 personnes le nom des politiques de la ville... En fait, on est en train de perdre les principes fondateurs pour aller vers une politique d’identité. La culture de la solidarité, de la famille, du vivre ensemble a été galvaudée pour céder la place à une politique d’identité, assez partisane : je suis PS, je suis LR.
Qui a envie aujourd’hui de se projeter dans des partis stipendiés dont les médias, les réseaux sociaux, nous amène chaque jour de nouveaux scandales ? Je n’ai pas envie de me projeter sur des individus que je ne connais pas. J’ai envie de me projeter sur des principes de solidarité.
Ces leaders, il suffit donc de les mettre en lumière ?
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Il suffit juste d’aller les chercher, échanger ; chaque classe sociale crée ses élites. Chaque parti crée ses élites naturelles. Qu’est-ce qu’une élite naturelle ? des gens qui vivent et qui souhaitent amener un projet positif, c’est-à-dire abaisser les tensions interpersonnelles, aller sur des projets communs.
Ces leaders, s’ils souhaitent porter un projet positif, pourquoi a-t-on du mal à les rencontrer ?
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Si j’enlève mes lunettes, ça va être difficile. Ils existent. Pour les rencontrer, il faut être dans l’agora publique. Où est cette agora ? Les gens échangent dans la rue, dehors, sur les sites de proximité. Ils ont grandi ensemble. Comment créer un lien avec eux ? en les rencontrant. Ils font déjà de la politique au sein de leurs groupes. Combien de jeunes de Quetigny ont créé des microsociétés (lavage de voiture, conseil en entreprise...) ? Comment perçoivent-ils la ville administrative ? Il y a un rejet national, global de ce qu’on peut appeler l’Institution ; ça ne date pas d’hier. On le voyait dans les livres, on le voit maintenant dans la vie de tous les jours.
Comment faire pour que leur potentiel se manifeste au moment d’une élection ? Comment les convaincre d’agir ?
Quelles sont les barrières ? l’intérêt à l’action ; la mise en action : pourquoi ? comment ? ; les conséquences de l’action.
Au sein de la ville, qu’est-ce que ça amènerait si une certaine jeunesse se mettait en mouvement ? Quel serait son intérêt positif ? Quel est l’état actuel de la politique à Quetigny ? Comment les politiques pourraient échanger sans langue de bois et pas seulement à 6 mois des élections ?
La plupart des municipalités ne demandent qu’à intégrer des jeunes dans leur activité. Très peu de jeunes répondent.
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On est encore sur une volonté qui s’adresse aux psychologies individuelles et aux envies ; ce n’est pas de la politique. Compter sur l’envie de ces personnes, ça ne marche pas. Ce qu’il faudrait mettre en place, c’est une politique d’intégration de la jeunesse. On ne met pas en place une politique sur le sentiment et l’envie.
​​Il y a toujours une opposition entre Platon et Aristote, entre l’idéal et le pragmatisme. « On aimerait que... », mais la réalité s’impose. Cela nous amène à une vision "mixte" : avoir un idéal, construire sur des principes fondamentaux. L’idéal serait une vie politique démocratique où chacun pourrait s’exprimer ; les principes fondamentaux seraient que pour faire de la politique, il faut avoir des bases, et comprendre que chacun a en germe des préjugés politiques. Ça commencerait, en sécularisant la notion, dans le « aimez-vous les uns les autres ».
Par exemple, il y a un concept politique, dans les échanges que je peux avoir avec de nombreux jeunes, notamment au niveau associatif, consistant à dire : « on ne lutte pas contre des éléments négatifs » : « on ne combat pas » l’insécurité, mais « on promeut la sécurité plurielle » :
- la sécurité alimentaire (où trouver des produits frais (comment bien manger à Quetigny)
- la sécurité du logement (en constatant comment les gens vivent)
- la sortie du "triangle de Karpman" résidents – jeunes – police-justice : tout le monde évolue sur le triangle...
Beaucoup de jeunes maîtrisent certains impératifs de la politique, ils maîtrisent le conflit triangulaire, ils maîtrisent certaines lectures, ils maitrisent le fait que chacun porte en lui les germes du politique... En fait, le champ politique est bien présent à Quetigny, mais il ne s’exprime pas de façon formelle.
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La question que vous posez, c’est : « comment établir un pont entre l’énergie dont dispose la jeunesse pour déconstruire des cadres et une énergie qui s’exercerait dans un champ politique plus formel ? ». Eh bien, que mettent en place les élus (majorité, opposition) pour crée un liant qui permettrait d’y parvenir ? La politique, c’est très dur, c’est une fonction ingrate ; on est toujours critiqué, rarement encensé, on met en place des choses qui passent sous les radars... Je ne suis pas là pour dire « tous pourris », ce n’est pas ma vision ! Pour moi, la politique, c’est complexe, et ça amène dans la vie personnelle des contraintes, des désagréments, des déséquilibres...Mais actuellement, la question qui se pose est : comment recréer un lien entre la population et la politique formelle ?
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Justement, à ton avis, instaurer une sorte de parité sociale peut-il être efficace pour casser le "plafond de verre" permettant à des citoyens issus des couches populaires d'agir ?
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Pour moi, la réponse n’est jamais « oui » ou « non ». C’est toujours placer la question dans le réel en me demandant : « qu’est-ce qu’il se passe ? ». Je ne suis pas un idéologue ; plutôt un mécanicien, avec des concepts, des idées. Je regarde dans le réel ce qui se passe : ça marche, ça ne marche pas, etc.
Alors, ça serait à la fois une bonne et une mauvaise idée.
Ça serait une bonne idée pour casser le plafond de verre, mais une mauvaise idée parce que ça essentialiserait les gens : il seraient perçus, non pas pour leurs qualités personnelles, leur fougue, leur vigueur, leur vision du monde... mais ils seraient inclus dans un quota, comme pour la parité hommes-femmes : « on va prendre quelques gonzesses, ça fait propre », « on va prendre des minorités visibles », et ensuite quoi ? Ce n’est pas pour les gens, c’est pour avoir plus de couleurs, c’est la Compagnie créole ! On essentialise... Ça peut être une bonne idée, plutôt au niveau national, parce que ça permet de remédier à l’injustice sociale, à la captation du pouvoir par ceux qui bénéficient d’un certain capital financier et culturel, à la ploutocratie : mais localement, sur Quetigny, çà conduirait à une essentialisation des gens, qui ne les conduirait pas à s’exprimer.
Il n’empêche que la parité, par exemple, même si elle a des effets pervers, permet aux femmes d’avoir leur place et de les convaincre elles-mêmes de leur légitimité...
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Et en ce qui concerne les jeunes, je constate que tu parles depuis tout-à-l’heure plutôt des jeunes diplômés... Et les autres ? comment les intégrer aussi ?
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Sur le fond, ce serait une bonne idée dans la perspective de casser un plafond de verre, de permettre à la jeunesse de se réaliser (idéal platonicien). Mais dans la forme, on verrait très vite les politiques bourrer des listes pour simplement respecter un quota (réel aristotélicien).
Sur les différentes jeunesses dont je souhaite la promotion, la réussite consiste, non à appliquer des diktats imposés par la société, mais surtout à se réaliser soi-même. Il ne s’agit pas uniquement de diplômes dans une société de "règne cognitif" : autour de cette table, qui voudrait que ses enfants n’aient pas de diplômes ? On sait où est le pouvoir : on sait où est l’ambroisie... Mais il faut parler aussi de cette jeunesse qui ne réussit pas, celle qui ne gagne pas cette "guerre des classes intellectuelle". Martine Aubry a eu une très belle formule : « L’éducation est le capital de ceux qui n’en ont pas ». Certes, il y a un vrai combat cognitif, une vrai conflit autour des diplômes qui permettent une ascension ; mais j’ai vu des destins se transformer, grâce notamment à l’éducation. Quant à cette jeunesse qui ne réussit pas, elle n’a pas de diplômes, elle n’a rien à vendre sur le marché du travail ; ainsi se créent des sous-groupes, enfermés dans une logique néfaste. Il faut relire Sutherland, Mucchielli ; on n’est pas dans le dogme « La pauvreté conduit à la délinquance » (tous les pauvres ne sont pas des délinquants en puissance !) ; mais l'existence de groupes discriminés socialement, intellectuellement, professionnellement, amène à créer des sous-classes de personnes qui vont trouver comme exutoire permettant de participer au jeu commun du capitalisme... la criminalité !
La ville de Quetigny elle-même participe socialement de cette schizophrénie : on a une zone commerciale quasiment aussi grande que la ville habitable ! La consommation, c’est naturel ; le consumérisme, c’est un état d’esprit... On est tous — la jeunesse aussi — soumis de manière permanente à la consommation ; comment faire corps autour de valeurs communes quand on n’a pas de filtre ? Baudrillard disait : « Le Moyen âge avait le diable, l’homme moderne a la consommation ». Qu’est-ce qui nous permettrait de faire corps, de nous rassembler pour éviter d’atteindre l’état consumériste, celui du "toujours plus", de l’hyper-consommable ? Comment combattre pour l’écologie ? Comment survivre dans un endroit si je ne fais que le consommer, pas l’habiter ? Ça demande de créer une éthique commune, des liens réels, une vision du monde fondée sur la culture de la famille, sur la culture de la solidarité... Je ne crois pas en l’âge d’or, je réfute qu’« avant, c’était mieux »... Il faut se projeter dans l’avenir, parce que ce qu’il y a eu avant ne reviendra pas ; mais on peut chercher des valeurs fortes dans la France d’autrefois, qui étaient : « Je connais mon voisin, il me connait, et s’il me trouve en bas avec un sac de courses, il m’aide... des choses simples de la vie !
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Les organisations de gauche de Quetigny ont entamé une démarche unitaire depuis deux ans (entre autres pour les prochaines municipales). Qu’est-ce que tu en penses ?
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Il faut m’expliquer... On se mélange ? On se marie ? Qui garde son indépendance ? Quelle est la vision des uns et des autres ? Pour quoi ? Moi, je veux bien échanger, mais y a-t-il un intérêt commun ?
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Il y a une démarche commune... Ce n’est pas encore abouti. Les gens se rapprochent, ils ont des objectifs qui ne sont pas encore réalisés ; parce que, quand on crée une liste pour une élection municipale, il faut vérifier qu’on pense à peu près la même chose et qu’on a un projet commun pour la ville ! Cette démarche existe depuis deux ans formellement, avec des réunions régulières. Qu’en penses-tu ?
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Je ne suis pas encarté, je ne suis pas membre d’un parti politique.
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... comme deux de nous trois !
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Il faut être honnête ; on ne peut pas prendre la carte d’un parti politique et critiquer ce parti ! Un collectif, une organisation, elle est structurée, hiérarchisée ; c’est grâce à cela qu’elle marche... Le fait de ne pas être encarté, ça permet de prendre du recul ; ça peut être positif s’il y a une vision sociale, économique, écologique, d’une Gauche réelle tournée vers les habitants, qui mélange idéal et principes fondamentaux ; c’est intéressant. Il y a aussi — il ne faut pas se leurrer — une forte présence de ce qu’on appelle l’Extrême-droite. Maintenant, Gauche, Droite, Extrême-gauche, Extrême-droite, c’est toujours en fonction d’un centre de gravité. Il faut voir où est ce centre... Je peux avoir des idées d’extrême gauche, qui étaient il y a dix ans des idées du Centre... Mais il y a la présence d’une extrême droite qui est assez étudiée : elle se manifeste par le vote-sanction, par les valeurs actuelles de gens que j’appelle (de manière assez taquine) "les droitardés", c’est-à-dire des personnes qui vont être dans une logique d’autorité, qui vont toujours demander plus de force, mais qui, bizarrement, n’exercent pas eux-mêmes cette autorité ; ils demandent à des corps intermédiaires comme la police et la gendarmerie de le faire ! C’est un peu hypocrite d’estimer qu’il faudrait dans une communauté plus d’autorité, moins de dialogue, quand on n’assume pas d’appliquer cette autorité.
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Il y a dans la société un discours extrêmement dur : on voit autour de nous une radicalisation globale, dans tous les champs, économique, politique, religieux... La gauche s’affirme sans nuance, la droite est dans un phantasme de chevalier Bayard ; on a aussi tout un radicalisme économique, avec des gens qui n’ont pas de position minorée ; pour d’autres, c’est le libéralisme : si on ne réussit pas, c’est de sa faute ; pour d’autres encore, l’économie doit reposer essentiellement sur la planification... Un discours ambiant pousse à la radicalisation globale.
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Pour refaire le lien avec le rassemblement de la Gauche, penses-tu que cette radicalité que tu appelles "globale" est un des facteurs majeurs de la rencontre de la Gauche en cours ?
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Il y a eu des périodes de tensions très fortes, par exemple avec le général Boulanger à la fin des années 1880, ou avec la Cagoule dans les années Trente... mais ça restait des événements parisiens... alors qu’aujourd’hui, avec le facteur d’accélération qu’est la perte de concentration liée à l’utilisation du smartphone, associée à la maîtrise par bien davantage de personnes des techniques d’influence (par exemple du recours à des slogans proches de la publicité, avec le "bad buzz"), il est très facile aujourd’hui de créer un effet « boule de neige », de répandre ce que j’appelle des virus sociologiques : les fake news, les prismes déformants, mettent très facilement certains groupes en avant... Il y a bien une radicalisation globale, générale, qui heureusement ne se traduit pas toujours dans le réel, même s’il y a des événements dramatiques, des gens égorgés dans des mosquées, des femmes voilées qui se prennent des coups de marteau sur la tête, des jeunes hommes qui se font poignarder dans des bals, une assistante d’éducation qui se fait assassiner dans un collège... Il y a aussi une américanisation des esprits. On n’est pas dans une crise de l’autorité, on est dans une tabula rasa émotionnelle. Chacun est tourné vers lui-même, vers ses propres sensations ; on est dans la culture de la sensation, et non plus dans celle de la raison. Il est très facile de faire perdre pied aux gens...
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Et comment en sortir ?
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Il y a un monsieur, il y a 2 000 ans, qui avait trouvé la solution : « Aimez-vous les uns les autres » !
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Attention, il y a des droits d’auteur, là !... (rires). Mais je reviens à nos municipales, à la démarche unitaire ; je ne sais pas si tu l’approuves ou pas...
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Je n’y suis pas impliqué.
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​C’est dans moins d’un an... qu’est-ce qui t’apparaît comme des enjeux, des priorités pour la prochaine mandature ?
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S’il y a une candidature commune, ça signifie qu’en termes d’élus du 1er au 5ème, comme dans les championnats de foot (qui sera qualifié pour la Champions League ?), il faudrait retrouver des élu·e·s des deux groupes à des postes décisionnels.
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Bien sûr, on est parfaitement d’accord !
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Ensuite, il faudrait décliner ou énoncer en quoi ça serait quelque chose de différent... En gros, est-ce que ce serait le C.N.R. ou les Bolcheviks et les Mencheviks ? Qui est-ce qui va gagner à la fin ?
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Ça nous plaît, ça... (rires)
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On va être un peu plus acide : est-ce que c’est le cercle de Proudhon, avec des gens venant de tous bords et changeant, avec une vision globale du bien-être, du vivre ensemble, du bien commun (c’est quasiment du stoïcisme), ou bien est-on plus sur autre chose : le cercle des poètes disparus ?
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En tout cas, Proudhon n’est jamais arrivé à établir un régime durable, alors que les bolcheviks y sont parvenus pour un certain temps... donc ce n’est pas forcément encourageant !
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Ma question, en tant qu’habitant de Quetigny et électeur, se pose ainsi : « quelle est la valeur ajoutée pour les habitants ? ».
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S’il y a une majorité municipale plus diversifiée, élue sur un programme élaboré ensemble, les habitants seront probablement assez satisfaits... Pour y arriver, il y a une question de personnes. Mais de ton point de vue, quels sont deux ou trois priorités qui s’imposent ?
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Ma priorité, ce serait un questionnement : quel intérêt pour les habitants ? Dans un second temps, ce serait amener un pluralisme d’idées, et également des échanges et des débats qui amèneraient à plus d’implication politique et à la mise en place d’une politique d’intégration des habitants. C’est un travail, ça ne se décrète pas, ce n’est pas en faisant des réunions publiques...
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On peut mettre en place des actions, pas forcément du jour au lendemain...
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C’est toujours une question temporelle. L’action politique, c’est obtenir un effet à long terme. Bien souvent, on ne perçoit même pas ses effets. Ensuite, la réflexion politique, c’est de l’immédiateté !
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Notre question concerne l’action politique sur cette mandature.
Par exemple, qu’est-ce qui te paraît le plus important dans les six ans qui suivront l’élection ?
Dans un premier temps, il serait intéressant de mettre en place une analyse des besoins sociaux, rencontrer les gens, leur demander quelles sont leurs priorités. On verrait sans doute qu’elles correspondent à la pyramide de pyramide de Maslow : manger, manger sain, manger des choses bonnes, l’éducation des enfants...
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On peut l’appeler comme on veut... Mais, pour le résultat, quand on le vit dans un immeuble où on craint de sortir le soir, ça ne change pas grand-chose !
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Moi, j’habite place Albert Camus : je m’estime être des classes populaires, avec une manière de vivre de classes populaires. Ça veut dire que les mots ont un sens : car « insécurité » c’est tout un champ... Comme je l’ai dit, c’est bien d’être allé en CP, car après on sait lire... On achète Mucchielli ? c’est un mec sympa ! On lit Sutherland ? On comprend le phénomène, on sait que « insécurité » est un truc qui a été monté par Pasqua dans les années 95, etc. Maintenant, il ne faut pas parler de ce qu’il n’y a pas, plutôt parler d’un « manque de sécurité », se demander comment on ramène de la sécurité — Je parle d’« a-sécurité » —, du vivre-ensemble, comment ne pas voir le jeune ou la personne en face de moi comme un prédateur, et comment, moi, je me sens rassuré dans le milieu où je suis... Car si on est dans l’insécurité, ça veut dire il ya forcément une victime, et s'il y a victime, il y a un bourreau, et s’il y a un bourreau, il y a un sauveur... et on est dans le triangle de Karpman... et on s’en sort plus ! car la police va devenir la victime des jeunes, et le sauveur va être les "gens du commun", et les gens du commun vont devenir ceux qui ont une vision facho et raciste des jeunes... et la police, etc. Alors, tabula rasa ! : voir quelle est la situation face à nous ; pourquoi il y aurait un manque de sécurité ; par méconnaissance des gens, par situation sociale... Ensuite, on va vers des auteurs simples : Sutherland... Comment se crée un groupe criminel ? Un groupe délinquant, déviant… ? Qu’est-ce qu'un groupe délinquant, déviant ? Là, on est dans la petite déviance/délinquance...et pas dans la délinquance en col blanc ! Comment moi, jeune, je peux me projeter dans un avenir positif quand je vois, d’un point de vue social ou même local, le nombre de personnes, de politiques qui ont des pots de vin, etc. Quels sont les modèles politiques ? Qu’est-ce qu’on met en avant ? Pourquoi je respecterais la règle si tout le monde la viole ?...
Oui, mais c’est parce qu’il est en insécurité sociale qu’il recherche les moyens d’arriver à cette sécurité dont tu parles...
Mais expliquer n’est pas excuser !
Non, je veux dire que la réalité est une réalité d’insécurité, qui pousse à rechercher, dans différents domaines d’ailleurs... certains parlent aujourd’hui, par exemple, d’établir une « sécurité sociale alimentaire ». C’est parce qu’il y a une situation de détresse, d’inégalité, de discrimination...etc., bref d’insécurité, qu'on cherche des solutions de sécurité... Le terme « insécurité » a été dévoyé (par Pasqua notamment…) et instrumentalisé sur le plan de la politique politicienne... mais dans la réalité des choses, ça crée bien de « l’insécurité sociale » qui peut être terrible !...
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Oui, mais si on l’aborde ainsi, on est dans une société horizontalisée... Les pauvres font des pauvres ! La manière de percevoir l’insécurité... Les gens qui habitent dans des endroits qui sont eux-mêmes stigmatisés... Mais la question, c’est, comme je l’ai dit, Sutherland, qui la pose, et qui explique pourquoi... car si vraiment la pauvreté faisait naître la délinquance, combien y aurait-il de pauvres en France ? combien de délinquants ? Non, ça ne marche pas comme ça… Dans la création d’un groupe délinquant ou déviant, y a des stades, et la délinquance au dessus de 25 ans, ça ressemble à du grand banditisme...
Mais il y a des délinquants en col blanc aussi ! (rires )
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Oui, il y a des bandits en col blanc, comme Lafarge par exemple… mais là, il faut voir de quoi on parle. Si on regarde au niveau local (on élève moins le débat), dans l’activité que j’avais d’éducateur, ça n'était pas simple ! C’est facile dans le processus, c’était dur dans les termes : il fallait réactiver une fibre sociale chez le jeune, ensuite il fallait lui expliquer le pourquoi du comment... pourquoi il était là ; comment il était là ! Ce qu’il pensait être naturel n’était en fait qu’un rendu social... et le fait de tomber dans la délinquance est en fait un conformisme social, la création d’un micro-groupe d’exclus qui crée ses propres valeurs en opposition à d’autres valeurs... Aucun quartier n’a de barreaux qui enferment ses habitants ! La première des prisons est mentale... Ensuite, c’est comprendre sa situation ; c’est basique, si on relit simplement un peu Marx : c’est la « conscience de classe » et la « conscience de soi ». Être conscient de sa classe, conscient de soi, comprendre nos déterminants nous permet ensuite de nous en libérer, une phase très importante. Mais un des soucis, à l’heure actuelle sur le territoire local, c’est : qui est-ce qui maîtrise ces techniques-là ?
J’ai peur que ça soit pas qu’une question de techniques ; les analyses sociologiques montrent qu’il n’est pas nécessaire de se battre contre son voisin pour avoir très peu de chance de réussite, actuellement... On ne peut nier l’existence de quartiers marginalisés ; ce n’est pas uniquement une question de volonté des habitants de ces quartiers de s’en affranchir.
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Ce n’est pas ce que je voulais dire. Moi aussi, je suis issu de ces classes sociales... et quand j’en parle avec des amis qui ont des parcours différents et parfois complexes, j’ai accès, en fait, à une mémoire collective, sur les échanges, sur comment ils le vivent... Revenir à une question de volonté, non ! ça me rappelle une belle phrase de Byron qui disait : « demander à un pauvre d’économiser, ça revient à demander à une personne qui meurt de faim de faire un régime ! »... C’est frappant, c’est réel !... donc, tu ne fais pas un truc sur la volonté, mais sur des impératifs qui permettent d’arriver à un idéal. Et le premier impératif, c’est de comprendre sa situation, de comprendre le lieu où on est... Le comprendre nous permet de nous libérer de nos déterminants et d'observer la vie d’une autre manière, ce qui permet de créer un déclic. Ce n'est pas un défi. J’ai envie de m’en sortir, des déterminants sociaux ! Mais comprendre ces déterminants nous permet d’avoir une certaine liberté d’action ; on peut rester populaire, gagner le Smic, avoir des situations sociales complexes, mais le fait de comprendre sa situation permet de se projeter sur quelque chose, la culture de la famille par exemple. Ce que j’ai vécu m’a donné une expérience... Un jeune m’a dit une belle chose : il vient d’être papa, il m’a dit « moi, je ne vais pas donner à mon enfant ce que je n’ai pas eu, mais je vais lui apprendre ce que je n’ai pas appris ! »... En fait, c’est ça en fait la vraie gauche, le vrai socialisme ! aller dans les mémoires collectives, interroger ces mémoires collectives et se rendre compte que la politique des gens du réel, c’est l’histoire collective de leur vie en commun...
Oui, mais avoir un peu d’argent, un logement, quelque chose de correct, de quoi bouffer, et — je dirai — un peu de sous pour se cultiver... ça aide !
Oui, ça s’appelle la politique réelle... et la question qu’on se pose est : est-ce que les gens l'idéalisent ? Doivent-ils se les créer eux-mêmes, ou y a-t-il une vision de la politique qui consiste à créer les conditions de la réussite ?
C'est un peu les deux…
​​Donc, amener une volonté de créer une disposition d’esprit, avec des conditions matérielles ; comme je disais, l’idéal et les principes, donc la Realpolitik associée à un idéal de lutte. Grosso modo, ce n’est pas plus simple que « Aimez-vous les uns les autres ! »...
Et si on revient à la base, sauf cataclysme, ou si Poutine nous bombarde, ou Trump… (rires)
C’est un bon gars, Poutine ! (rires)...
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Les municipales vont avoir lieu (en 2026), donc la règle, quand même, c’est qu’il y a des candidats et des électeurs, et un des problèmes, c’est l’abstention des gens ; pas que des jeunes, mais les jeunes, eux, doivent déjà s’inscrire comme électeurs... Ainsi, à ton avis, quels leviers pour amener les gens à voter, comment optimiser les outils qui existent déjà, en attendant de les changer ou de changer de système (avec la VIème République par exemple) ? Je ne comprends pas qu'on présente les politiques comme des voleurs et des menteurs, alors qu'on a quand même, dans une commune de moins de 10 000 habitants, un budget communal à gérer de 22 millions, et qu'on leur confie notre argent ! Comment sortir de ce dilemme ?
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Déjà, comprendre ! Imaginons que Quetigny soit, du jour au lendemain, rattachée à la Slovénie ; donc les Quetignois peuvent voter pour la présidentielle slovène... Qui va aller voter ? Est-ce qu'on se sent concerné ? Je vais aller à la politique de trois manières :
1 - parce que j'y vois un intérêt, un intérêt particulier ou commun ; j'ai un espoir.
2 - parce que je pense que les gens pour qui je vote sont légitimes (la légitimité me permet de ne pas remettre en cause une action)
3 - parce que ma capacité d'attention est suffisante
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Oui, on peut aussi appliquer ce raisonnement au fait d'être candidat...
La légitimité est en crise : l'élection municipale ne donne pas d'espoir, elle n'est pas perçue comme un accélérateur de bien-être. Il y a une crise de la légitimité... Les gens ne pensent-ils pas qu'il s'agit d'un jeu de chaises musicales ?
Et puis, si mon quantum d'espoir est limité, la municipalité, pour moi, ça va être ceux qui font des bâtiments, qui me donnent ma carte d'identité... Elle ne participe pas à mon ascension économique. L'espoir n'est pas une énergie renouvelable... Une fois qu'il est grillé, ça met beaucoup de temps à revenir !
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Pourtant, on dit « si tu ne t'occupes pas de la politique, la politique s'occupe de toi ! ». Et les gens subissent les décisions politiques, l'installation de caméras de surveillance, par exemple.
On pense que les habitants ne seraient pas capables de percevoir leur intérêt... En fait, en l'absence de projet commun, chacun se tourne vers son individualité.
Mais le projet "commun", par définition, est censé venir de chacun ! Doit-on attendre un Messie pour nous le proposer ?
Ce n'est pas du formel, ça reste de l'idéal, ça demande déjà une structuration de "classe moyenne", la structuration d'un "héritage socio-culturel" que l'on souhaite transmettre... On serait là dans une classe moyenne de type politico-culturel. Cela reste abscons pour des classes populaires.
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Les représentants politiques les mieux appréciés sont les maires (et les conseillers municipaux). Les gens ont quand même conscience que, même s'il n'y a pas un projet collectif avec des grandes valeurs, il faut aménager la vie quotidienne des habitants, et ceux-ci en ont conscience, même s'ils ne comprennent pas tous les mécanismes du système de représentation. Ils considèrent que c'est utile, et ils y adhèrent. Tu penses que la majorité de la population rejette la municipalité ?
Non, j'ai voulu dire que les projets politiques n'étaient pas perceptibles. Chaque habitant a une vision de la politique, a des idées politiques, mais le mode de mise en relation et de communication n'intéresse pas la majorité de la population : il faut voir le nombre de votants aux dernières élections ! C'est comme si on dialoguait avec les gens : « ça, c'est positif » ; « non, ça n'est pas positif » ; « si, c'est positif, je vais te le prouver » ; « non, c'est pas positif, j'en veux pas, de ton truc »... Ça va me prendre du temps, de l'énergie, et à la fin je vais faire gagner un gars que je ne connais même pas et qui va aller contre mes intérêts !
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Si on ne s'engage pas, si on regarde les choses de loin, comment peut-on connaître ces candidats ? Il faut travailler avec eux, proposer !
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Prenons l'exemple d'un jeune qui a 21 ans, niveau bac, chauffeur-livreur. Il commence à 7 h 30, il termine à 13 h 30, et à côté, il joue au foot à l'A.S.Q. Il a une vie sociale correcte, un travail qu'il apprécie... Combien de temps ça lui prendrait, de s'intéresser à la politique, de se cultiver dans ce domaine, de s'impliquer ? parce que la politique, c'est noble ; mais la manière de faire de la politique n'a rien de noble ; c'est des stratagèmes, il faut maîtriser le verbe, il faut comprendre les différents points de vue... Il va se dire ; j'ai une vie rangée, je commence à m'élever socialement, je vais faire une formation dans mon travail, je vais pouvoir faire un travail de bureau, je vais à l'A.S.Q. donc j'ai une pratique sportive, je fais de la politique réelle, j'échange avec mes voisins, je vais voir ma grand-mère qui habite pas loin, et je vais rentrer dans ce maelström de la politique ? ​ Pourquoi ferais-je ça ?
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Bon, c'est un exemple... mais, même dans ce cas-là, il peut avoir un intérêt à s'impliquer, pas forcément en y consacrant beaucoup de temps. Et puis, on peut suivre les chose de loin, s'informer, faire confiance à quelqu'un, et participer au moment de l'élection, ou proposer des projets dans le cadre de la démocratie participative...
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C'est tout un travail ; ça voudrait dire : se tourner vers un public, mettre en avant l'intérêt de la politique, créer un état d'esprit, élaborer un projet commun, trouver quelqu'un qui va représenter mes idées parce que je n'ai pas le temps, demander à toutes ces personnes de se former, ne pas être dégoûté très vite en voyant les alliances, les stratégies (parce qu'il y a aussi une notion d'idéalisme avec la jeunesse)... tout cela pour aboutir à quelque chose qui n'entre pas forcément dans mon idéal.
Si on te comprend bien, finalement l'intérêt des Quetignois pour le rassemblement ou l'union de la Gauche n'est pas très grand...
C'est intéressant pour ceux qui vont observer le champ politique ; mais si on va vers le citoyen moyen et si on lui demande : « Qu'est-ce que tu penses de l'inflexion de la Gauche du social au sociétal dans les années 80 ? » , si on lui parle de « l'américani-sation de la droite française qui tue le gaullisme », du « qui nous amène à Sarkozy et au traité de Maastricht ? » ou du « y a-t-il une crise réelle ou fantasmée ? »... Le champ politique va toujours intéresser une minorité de personnes !
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Dans un programme portée par une partie de la sphère politique, poser des questions aux citoyens est-il efficace ?
Si on veut des citoyens éclairés, oui, on leur permet de décider directement. S'il y a des jeunes qui traînent dehors, qui créent un sentiment d'insécurité, eux-mêmes étant victimes de déterminants qu'ils ne peuvent pas saisir et faisant souffrir des gens de la même classe sociale qu'eux (le serpent qui se mord la queue), est-ce que ça ne veut pas dire que la politique jeunesse est un échec ?
Maintenant, à Quetigny, a-t-on des politiques assez courageux pour dire : « ce que nous avons fait est un échec, et nous sommes en capacité d'infléchir notre politique », ou est-ce qu'on décide de mettre la poussière sous le tapis ? Là est la question ! Les politiques sont-ils assez courageux ?
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Pour terminer, voudrais-tu insister sur un point que tu estimes important et que nous n'avons pas évoqué ?
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Il est important de comprendre comment a été créée la ville, de repérer ses déterminants, de prendre en compte le projet admirable d'Hervé Vouillot, la sécurité plurielle : alimentaire, éducative, etc., de ne pas stigmatiser des parents (qui s'épuisent), la fonction éducative étant souvent relayée à des services de garderie, de cantine (sans qu'on connaisse, par exemple, la qualité des produits). Beaucoup de choses sont faites sur la ville, mais elles ne sont pas suffisamment évaluées, et il y a une population qui est fatiguée.
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​Merci, Saber !
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