Interview : cauchemar dans
l'immeuble intergénérationnel
Il y a deux ans ou quinze mois que nos interlocutrices de ce numéro ont emménagé dans l'immeuble intergénérationnel situé 12 avenue de Bourgogne, à l'emplacement de l'ancien "Atlas", confié à CDC - Habitat, qui ne manquait pas d'ambitions au moment d'accueillir les premiers arrivants : "Il ne suffit pas de réunir sur un même site des personnes de tous âges, dont une part significative de seniors, pour que les échanges se nouent comme par magie et que la vie collective se développe. Nous avons voulu au contraire trouver un équilibre qui permette de répondre aux besoins de chacun, et créer les conditions d’une dynamique collective qui s’inscrive dans la durée", disait le bailleur. À en juger par notre rencontre avec deux locataires (qui ont souhaité garder l'anonymat), on est loin de ce que laissaient espérer ces beaux discours ! La convivialité est-elle possible quand s'accumulent les malfaçons et les conflits avec le constructeur et les ouvriers qu'il a salariés au moindre coût ?
Bonjour, pour commencer, depuis combien de temps habitez-vous ici ?
Mme B. depuis le 31 octobre 2021.
Mme A. depuis le 31 mars 2022.
Pendant ces mois, ces années, quelles difficultés avez-vous rencontrées ?
Mme B. J'ai eu des fuites dans ma salle de bain, le carrelage est complètement fissuré, et j'ai de la moisissure qui commence à s'installer et aussi sur le plafond.
C'est seulement dans la salle de bain, ou ça s 'étend à d'autres pièces ?
Mme B. Que dans la salle de bain.
Qu'avez-vous fait ?
Mme B. On a écrit 3 fois, avec des photos, à CDC Habitat. Ils nous ont répondu qu'ils relançaient. Puis j'ai eu un ouvrier qui est venu chez moi, qui m'a dit que c'était dû à une
fuite venant de l'extérieur, et ne m'a pas caché que la faïence allait continuer à craquer. Quand le responsable de CDC Habitat est venu, il m'a dit « Les ouvriers vous disent n'importe quoi ».
Mais elle a été réparée, la faïence ?
Mme B. Non, donc ça fait plus d'un an.
(s'adressant à Mme A) et vous ?
Moi, je devais prendre mon logement en janvier 2022, on m'a tout de suite avertie que les travaux n'étaient pas terminés, on m'a retardé deux fois l'entrée, puis on m'a donné rendez-vous le 31 mars à 14h. Le responsable m'informe que pendant la nuit il y a eu un écoulement depuis des toilettes du 4ème, qui est arrivé chez moi. C’était immonde (de l'eau, des excréments), avec une odeur assez forte. Je vous enverrai les photos.
Mme B. Quand on apprend que c’est un appartement neuf, on se dit : « Non, ce n’est pas possible ! ».
Mme A. Ces taches, qui étaient grises... Si vous avez des taches de moisissure chez vous, vous faites quoi ? vous grattez, vous enlevez les parties abîmées, vous mettez un anti-moisissures, puis de l’enduit ! Eh bien, ils n’ont pas gratté, ils ont mis un apprêt, qui n’est pas une peinture mais ce qu’on met sur du placo pour poser du papier-peint !
Le responsable a fait un état des lieux en cochant tout "OK"; pour lui, tout était bon. Il m'a dit : « je vous envoie un menuisier ». Il m'a envoyé un monsieur qui a arraché les plinthes.
Des femmes de ménage sont venues nettoyer grosso modo le sol, puis on a fait du camping pendant 6 mois. On n'avait pas d'électricité, on mettait la nourriture dans des glacières. On allait prendre la douche à Chevigny, chez ma maman ou chez ma sœur. Et puis beaucoup d'autres anomalies... J'ai fait une conciliation judiciaire, et les travaux qui devaient être faits n'ont toujours pas été effectués ! D'autres anomalies se rajoutent ; et quand on informe le responsable, il nous dit que « c'est normal », que « c'est neuf », que « les fissures, ça ne va pas tomber ! Il y a deux couches de bandes »... Ce sont des réponses complètement idiotes !
À propos de ces deux couches de bandes ?
Mme A. Dans les normes placoplâtre, il n'y a qu'une couche de bande, on n'a besoin que d'une couche !s'ils ont mis deux bandes, c'est qu'il y a un problème, ou que les poseurs ne savaient pas poser le placo. Il y a plein de choses qui sont bizarres au niveau des poses. Ça a été mal fait, ça a été signalé... et les personnes qui sont venues voir ont dit... qu’il fallait mettre du white spirit ! C’est n’importe quoi, c’est « Débrouillez-vous ! »...
Je vais vous montrer ma douche. Entre le 31 mars 2022 et le 29 novembre 2022 , je n’ai pas pu fermer ma porte de douche, et j’inondais en me douchant ! Un ouvrier est venu, il a coupé
Oui, une douche est un moment agréable, on se dispenserait d’avoir une corvée dans la foulée !
le joint dans le sens la longueur. Ça fermait, mais l’eau continuait à passer ; il fallait mettre une serpillère. Il y a un décalage de 6 mm. entre la paroi de douche et le mur entre le haut et le bas, ce qui serait tolérable pour des parpaings, mais pas pour des installations sanitaires. Et tous les angles sont abîmés, il y a des morceaux de placo, des bouts de silicone... Et toi aussi, tu as du moisi !
Mme B. Oui, j’ai également un problème dans ma salle de bain ; des ouvriers sont venus et m’ont dit : « il faut vous mettre au fond de la douche »... parce qu’on a mis ma porte à l’envers !... alors je sors vite, j’éponge vite.
Mme B. Et ça continue... Ça avait séché en été, mais ça revient ! On le voit bien sur les photos... mon carrelage de la salle de bains, il est bien claqué, avec une fissure du haut jusqu’en bas. Et quand je suis entrée dans l’appartement — officiellement terminé —, les travaux n’étaient pas finis. Il fallait appeler le plombier, puis le chauffagiste... Il y avait toujours quelque chose qui n’allait pas. Pas de chauffage, pas d’eau chaude pendant un mois !
C’était quel mois ?
Mme B. Tout le mois de novembre ! Il faisait froid, il pleuvait, c’était humide.
Et on trouve le même genre de problèmes au niveau des parties collectives ?
Mme A. C'est un immeuble intergénérationnel, donc il y a tous les âges. Au niveau des bâtiments A et C , la plupart des locataires ont des seuils en aluminium devant leurs seuil bois d'entrée de porte, alors que dans cette partie B, personne n'en a. Je l'ai signalé, mais pour l'instant personne n'a répondu. Et puis, vous avez une dame de 89 ans, elle a un déambulateur. Eh bien, ils avaient mis un vantail de fenêtre mal adapté, trop grand, donc elle ne pouvait pas fermer sa fenêtre complètement ; c'est une autre voisine, plus valide qu'elle, qui devait donner un coup d'épaule... Elle branchait un petit radiateur, mais l'électricité, ça tourne ! Ça a été résolu depuis quelques jours, mais ça a duré plus d'un mois ! trois fois ils ne sont pas venus, mais le problème existait depuis le début en 2021.
Il y a aussi ceux qui ont des seuils mal adaptés, avec une dénivellation ?
Mme A. Tout à fait, ils sont mal posés ! Et puis notre ascenseur n'a déjà plus de barre pour se tenir. Les parties communes ne sont pas nettoyées, et sont déjà en mauvais état. Il y a des petites fissures à plusieurs endroits, et on peut voir des coulures de ciment.
En avez-vous parlé à d'autres personnes, par exemple de la municipalité ?
Mme A. Oui, j'ai pris rendez-vous au printemps auprès d'une conseillère municipale, ça s'est très bien passé, elle a dit qu'elle allait faire suivre ; mais on n' a plus eu de nouvelles.
Avez-vous eu connaissance de cas où des gens ont voulu déménager ?
Mme A. Il y en a qui en parlent, ils en ont marre, il n'y a pas de chauffage chez eux, il y a des réparations qui mettent je ne sais combien de temps pour qu'ils se décident à intervenir — se tournant vers Mme B — comme toi pour ta salle de bain ou pour moi pour mon seuil de porte : il est cassé depuis le début de l'année dernière ; j'ai signalé et resignalé... et la semaine dernière, j'ai pris rendez-vous parce qu'eux ne le font pas.
Auprès de CDC ou d'une entreprise ?
Mme A. Auprès de CDC, qui nous donne le nom de l’entreprise et le numéro de téléphone, et j'ai pris le rendez-vous. Mardi dernier, ils ne sont pas venus ; et jeudi, quelqu'un est venu, mais ce n'est pas son entreprise qui change les seuils en bois !
Manifestement, ça vous porte sur le moral... mais connaissez-vous dans l'immeuble d'autres personnes qui sont très affectées ?
Mme A. Oui.
Donc vous avez l'occasion d'en parler. Vous avez envisagé une action commune par exemple ?
Mme B. On a déjà fait une lettre après une réunion entre voisins dans la salle commune où tous parlent des problèmes de leur appartement, de chauffage, et de tous les défauts. Après, ils donnent leur numéro de porte et leurs noms, et on les envoie à la directrice de CDC Habitat. On va faire une photocopie et l'envoyer carrément au siège à Paris .
Je voulais poser une question sur le chauffage, car j'ai l'impression qu'il fait bon ici.
Mme A. Chez moi j'ai toujours eu de la chance...
Mme B. Moi, je n'ai du chauffage que depuis ce matin ; avant, j'avais froid, je me levais le matin et j'avais 18 dans ma salle. Dans la salle à manger, le radiateur était chaud juste en bas à droite, le reste était froid. J'ai appelé jeudi, la dame a pris mon nom et dit qu'on me rappellerait. Je n'ai pas eu de nouvelles, j'ai rappelé ce matin [lundi 27 novembre, NDLR], je me suis un peu fâchée et heureusement le chauffagiste était chez mes voisins ; il est venu chez moi, il a tout regardé, et j'ai du chauffage maintenant.
Vous êtes restée sans chauffage combien de temps ?
Mme B. Deux mois, octobre, novembre. L'année dernière, c'était pareil : je n'ai pas eu de chauffage pendant un mois. Ma voisine de palier, elle, n'a pas de chauffage ; elle a même plus froid que moi. Et comme elle habite dans un coin, quand il y a du vent , elle a tout l'air qui rentre chez elle... Au dernier étage, on entend claquer au-dessus. Elle l’a signalé, mais rien ne se fait. On ne sait pas ce qui tape dans le toit, jour et nuit.
Mme A. En parlant des charges, elle sont régularisées tous les ans normalement... Ça fait combien de temps ?
Mme B. J'ai regardé ce matin. Quand je suis arrivée le 30 octobre 2021, je n'ai eu ni chauffage ni eau chaude tout le mois de novembre ; j'allais me laver chez ma fille qui habite à une demi-heure d'ici, ou en faisant chauffer de l'eau comme mes grands- parents. En janvier 2022, ils [CDC, NDLR] m'ont remboursée. Mais pour 2022, ils auraient dû me rembourser en janvier 2023, et je n'ai rien eu. À chaque fois qu'on leur demande, on nous répond : « c'est à la fin de l 'année, ou au début de l'année suivante ». Donc, au début de l'année 2023, j'aurais dû avoir la régularisation des charges pour 2022, et cela n'a pas été fait.
Mme A. Dans les logements sociaux, il y a un règlement : il y a une régularisation tous les ans. Personne n'a eu cette régularisation.
Et ça vous fait craindre qu'on vous fasse payer brutalement des sommes énormes ?
Mme A. Mais non, mais c'est illogique et illégal. J'ai envoyé des mails à CDC Habitat ; on répond : « ce n'est pas encore effectué ». Ce n'est pas normal : j'ai déjà eu d'autres bailleurs
sociaux ; eh bien tous les ans il y avait une régularisation, avec tous les détails.
Je vous posais la question car ces régularisations qui ne sont pas intervenues, le jour où elles arriveront... ça risque de faire des sommes faramineuses...
Mme A. Je ne sais pas. Au niveau du chauffage, ils nous ont informées que « la résidence bénéficiait du bouclier tarifaire sur les dépenses de chauffage et d'eau chaude sanitaire. Cet avoir est en cours de calcul et sera directement déduit sur votre prochain décompte individuel de charge qui correspond à la période couverte par ce remboursement ». Nous sommes le 27 novembre, toujours rien.
Peut-être vous doivent-ils de l'argent ?
Mme A. Oui, bien sûr. Moi, j'ai ma quittance de loyer, je dois tant, mais je ne sais pas quoi, je n'ai rien. Moi, je voudrais savoir ce que j'ai dépensé en plus ou en moins, je veux avoir tout le détail, mais je n' ai rien... ce n'est plus comme avant ! Je peux aussi vous faire voir le constat de la conciliation, qui n’a pas été respecté par le bailleur.
Et vos charges de chauffage, elles sont évaluées comment ? Y a-t-il des compteurs sur les radiateurs ? est-ce proportionnel à la surface ?
Mme B. Alors, il y a des boîtes, comme celle-ci, mais elles ne marchent pas du tout... et je ne suis pas la seule, tout le monde le dit !
Mme A. Donc, j’ai acheté un thermomètre ; comme ça je sais combien il fait chez moi.
Ce n’est pas bon pour la régulation de l’énergie ; vous risquez d’avoir trop chaud à certains moments !
Mme B. Ah, s’ils ont décidé que c’est 19°, vous avez beau le mettre à 5, l’appartement va rester à 19 ; ils ont bloqué à 19, c’est tout !
Donc, si vous décidez d’aérer...
Mme A. Ce n’est même pas la peine de mettre les radiateurs à zéro, ça ne sert à rien !
Ce qui chauffe bien, c’est le sèche-serviettes à la salle de bain... Donc la nuit, on la laisse ouverte.
Et c’est un sèche-serviette électrique ?
Mme A. Non, il est relié au chauffage d’ensemble. Ils le coupent la nuit, vers 22 h 30 .
Mme B. Et ils le rallument vers 5 h et demie du matin. Il ne faut pas se lever la nuit ! [rires]
Mme A. Moi, je n’ai jamais eu froid... Je ne me plains pas, mais ce n’est pas le cas de tous les autres !
En gros, les résidents n’ont pas tous les mêmes problèmes, mais ils en ont tous ?
Mme B. C’est ça, exactement ! Moi, je trouve anormal que des personnes âgées ou des personnes avec des bébés aient 18° ou 19° dans leur appartement.
Le fait qu’il s’agisse d’un immeuble intergénérationnel incite peut-être à rester...
Mme B. Oui, voilà !
Mme A. Sous le revêtement de sol en PVC du séjour, il y a de la colle et du béton... Eh bien en se penchant, on voit des cloques... Je vais envoyer un mail au responsable, mais il va répondre n’importe quoi ; je dois le faire, parce que quand je partirai, on m’en fera porter la responsabilité ! Il y a aussi une fente d’un mètre, qui part de la plinthe et qui s’agrandit, dans le lino du séjour. On me dira que c’est parce que j’ai des talons-aiguilles !
Mme B. C’est toujours notre faute, voilà !
Mme A. C’est la dalle qui a trop chaud !
Mme B. Et dans le bâtiment C, qu’on voit à notre droite côté verdure, ils ont attendu presque un an pour avoir un ascenseur.
Mme A. De notre côté, nous avons eu deux mois sans ascenseur. Nous nous sommes relayés, entre résidents, pour porter les marchandises aux personnes handicapées et âgées. Une voisine avait demandé au Bien Public de venir.
Et le fait que le Bien Public en parle a eu un impact ?
Mme B. Même pas ! Le réparateur venait, ça marchait un quart d’heure, ça retombait en panne... Une dame âgée du 3ème est tombée en panne dans l’ascenseur, elle est restée trois quarts d’heure, un peu paniquée.
Mme A. C’est un des résidents de l’immeuble qui est intervenu, il a réussi à écarter les portes et à sortir cette dame, mais elle n’était vraiment pas bien !
Y a-t-il aussi des éléments positifs dans ce logement, dont vous souhaitez nous faire part ?
Mme A. Moi, ce que j’aime — parce que j’ai monté un dossier DALO (Droit au Logement Opposable) pour avoir un logement (vu ma situation de handicap) —, c’était rez-de-chaussée, ou ascenseur, et une douche... en en plus, j’ai une jolie terrasse et un petit bout de terrain ; c’est très bien, c’est génial, on est à l’ombre tout l’après-midi en été (avec les canicules), je ne suis pas du côté de la route ; pour moi, c’est l’idéal. Après, le problème, c’est la construction, avec toutes ces anomalies...
Qu’il y ait des vices de construction ou des défauts au départ dans un bâtiment, ça peut arriver ; mais si nous comprenons bien, c’est le non-règlement des problèmes à long terme qui est pénible pour vous... Vous vous heurtez tout le temps à un mur ?
Mmes A. et B. Exactement !
Y a-t-il des personnes qui s’apprêtent à déménager ou souhaitent déménager en raison de ces problèmes ?
Mme B. Madame X souhaitait partir... Mais finalement, elle m’a dit : « Je reste », parce qu’elle restait toute seule ; et puis, déménager, ça coûte cher... Nous, on partirait, c’est sûr !
Et à l'extérieur ?
Mme A. Si vous voulez voir la terrasse... il y a de beaux pylônes, avec des trous. La peinture s’écaille ; c’est de la peinture à l’eau ! Et regardez les bordures, comme elles sont bien faites ! Je suis arrivée au printemps. Il y avait
ma terrasse, c’était normal. Mais deux voisines se sont installées en juillet ; et devant la fenêtre, il y avait une friche.
Qui se charge de la pelouse, depuis ?
Mme A. La Passerelle a mis à notre disposition une tondeuse à gazon pour entretenir l’espace vert devant chez nous.
Avez-vous quelque chose à ajouter , une revendication, un appel ?
Mme A. Oui, je vais en appeler... au tribunal : à l’ADIL (Association Départementale pour l’Information sur le Logement). Il faut faire une lettre recommandée à CDC-habitat, lister toutes les anomalies, et faire intervenir par le tribunal les forces exécutoires...
avait de la terre sur
Ils sont quand même bien sympas, vos Pères Noël ! Nous vous souhaitons, malgré tout, de joyeuses fêtes !